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Quelques notes sur le moment historique qui est le nôtre

Soldados de Taiwan

 

  1. Nous vivons une période historique charnière entre deux époques historiques. Une époque passée, marquée par la contre-révolution qui a détruit la vague révolutionnaire de 1917-1927 par l’action combinée du stalinisme, du fascisme et de la démocratie. Et une époque à venir marquée par les contradictions de plus en plus exacerbée du capitalisme, contradictions qui font du communisme le seul véritable mouvement capable d’empêcher que le caractère catastrophique du capitalisme ne conduise à l’extinction de l’espèce. Communisme ou catastrophe : c’est une époque de bifurcation historique.
  2. La contre-révolution a connu son apogée dans les années 30 et 40 du XXe siècle. Ce fut l’époque de la socialisation du capital qui a intégré toutes les sphères sociales dans sa dynamique interne. Ce dernier avait auparavant étendu ses rapports de production à l’ensemble de la planète. Le fascisme, le stalinisme et le New Deal ont tous en commun d’être des expressions de cette dynamique générale du capital qui subsume tous les aspects de son être dans le capital total. L’intervention de l’État dans l’économie capitaliste, l’étatisation des syndicats, l’expansion de l’État et de la marchandise à l’ensemble de la vie sociale… sont autant de facteurs de ce processus dans lequel la logique de la valeur se rattache à et se métamorphose dans la politique, le droit, l’idéologie, et les valeurs dominantes, etc.
  3. Après la Seconde Guerre mondiale, cette socialisation du capital s’est imposée à l’échelle mondiale. En d’autres termes, les puissances démocratiques d’après-guerre ne sont plus les puissances libérales du 19ème siècle. Elles ont soumis le mouvement ouvrier et ses organisations politiques (partis), syndicales et économiques (coopératives) à leur logique et les ont intégrés. L’assujettissement du prolétariat s’exprime à travers une forme de démocratie sociale qui reconnaît les droits d’organisation, de grève, de participation politique dans leurs constitutions, précisément parce qu’ils signifient l’intégration du mouvement ouvrier dans le monde du capital. En même temps, il s’agit de la conséquence même de la logique impersonnelle du capital et de sa tendance à être totale, à subsumer tous les aspects de la vie sociale. Dès lors, la bourgeoisie ne craint plus la participation politique ou économique du prolétariat à travers ses organisations, organisations qui ne sont rien d’autre que la gauche du capital.
  4. Le stalinisme a été l’un des facteurs clés de la contre-révolution. En effet, c’est un facteur de contre-révolution qui est apparu au sein même du mouvement prolétarien. Contrairement à d’autres contre-révolutions et défaites du passé (comme en juin 1848 ou la Commune de Paris de 1871), ce n’est pas la bourgeoisie sociologique qui est responsable de la défaite et de la répression de notre classe, mais la pratique d’une vieille section du parti de classe qui a adopté le programme, les positions et les tâches du capital. Celle-ci est devenue un agent direct de la contre-révolution et du capital, tout en affirmant qu’elle représentait le contraire. Ainsi, tous les termes du programme de classe et de sa doctrine marxiste ont été inversés, la contre-révolution s’est habillée en rouge. Des secteurs importants de la classe ouvrière ont intégré cette dynamique et sont ainsi devenues des appendices de cette terrible machine contre-révolutionnaire.
  5. Cet état de fait a muselé d’importants secteurs du prolétariat, et a cloîtré la potentialité historique de son expérience dans des Etats et des partis « communistes » qui étaient la négation pratique de toute perspective authentiquement révolutionnaire. Et, en même temps, de nombreux secteurs qui s’éloignaient de cette perspective nationale « communiste » tombaient dans les filets de leur adversaire impérialiste (Etats-Unis, démocratie, social-démocratie européenne…). Les minorités révolutionnaires qui ont résisté à ce véritable minuit dans le siècle étaient complètement isolées de la classe ouvrière de leur époque. En d’autres termes, il s’agit de la plus longue et importante période de contre-révolution qu’ait connu le prolétariat tout au long de son histoire. Et, d’ailleurs, nous sommes toujours sous l’emprise d’une contre-révolution plus générale qui ne comprend pas que le stalinisme.
  6. Les mouvements dits de « libération nationale » dans les colonies capitalistes représentent un autre aspect très important de la dynamique contre-révolutionnaire de l’après-guerre. Les courants staliniens ont joué un rôle très important dans ces mouvements, bien qu’ils n’aient pas été les seuls comme le montrent les processus d’indépendance en Inde et au Pakistan. Cela dit, c’est un mouvement qui a eu un poids très important dans les processus d’intégration du prolétariat mondial au sein des bourgeoisies nationales, et dans l’utilisation du prolétariat comme chair à canon, comme on l’a vu dans de nombreux conflits de l’après-guerre. En même temps, aujourd’hui, bien que le stalinisme ait moins de poids, ce genre de mouvement continue à se présenter comme une idéologie « anti-impérialiste » qui agit de fait contre le prolétariat en soutenant une idéologie, des régimes, des partis bourgeois et contre -révolutionnaires, comme c’est le cas, par exemple, de la défense du fameux Axe de la Résistance.
  7. Les années 60 et 70 du XXe siècle, avec le développement de grands mouvements de classe, ont vu la première érosion de la contre-révolution, à commencer par celle du stalinisme, qui a commencé à considérablement se désintégrer organiquement. L’unité interne autour de Moscou a commencé à se fissurer avec l’apparition d’autres versions de sa branche contre-révolutionnaire (le maoïsme, le titisme, et plus tard « l’eurocommunisme »), mais surtout parce qu’ont commencé à émerger des minorités prolétariennes qui tentaient de se rattacher au passé révolutionnaire de notre classe et à ses secteurs les plus cohérents, à savoir les diverses tendances de la gauche communiste. En outre, avaient eu lieu les premiers mouvements de classe qui avaient remis en cause les régimes staliniens d’Europe de l’Est, bien que sans une orientation politique très claire : la révolte ouvrière de Berlin en 1953, les conseils ouvriers hongrois de 1956, le Printemps de Prague de 1968 et, enfin, l’énorme vague de grèves de masse qui a inondé la Pologne tout au long des années 1970 et qui a atteint son apogée en 1980. Ce sont des révoltes qui, d’une part, n’ont pas permis le développement d’un processus menant à la constitution du prolétariat en classe, en raison du poids de la contre-révolution et du fait que la perspective communiste était assimilée aux horreurs capitalistes du stalinisme. D’autre part, elles n’ont même pas engendré l’irruption de minorités politiques notoires dans notre classe. Nonobstant, elles ont clairement montré à de larges secteurs de la classe ouvrière mondiale (et locale), la réalité oppressive de ces régimes politiques et sociaux. La classe ouvrière a donc commencé à se distancer du stalinisme, fait qui sera primordial dans les décennies à venir.
  8. Par ailleurs, les luttes de classe des années 1960 et 1970 se sont également affrontées aux États démocratiques occidentaux. Le niveau d’autonomie prolétarienne a été important dans de nombreux pays (nous avons déjà mentionné le cas polonais), de même que les processus de lutte de classe : du Cordobazo en Argentine aux Cordones Industriales au Chili, des luttes autonomes du prolétariat espagnol à l’énorme vague de révoltes qui a secoué l’Italie de 1969 à la fin des années 1970 ou au Portugal en 1974. Les années 1960 et 1970 ont marqué un passage fondamental dans l’ébranlement de la paix sociale, dans la remise en cause de l’intégration du prolétariat dans les institutions du capital. Il y a eu des luttes où les prolétaires se sont autoorganisés dans des comités et des assemblées de travailleurs et qui ont surmonté et affronté la domination bourgeoise qui visait à l’intégration des luttes ouvrières à travers les partis et les syndicats de la gauche du capital. Ce furent des luttes plutôt faibles sur le plan programmatique, sans doute, mais il ne pouvait en être autrement après des décennies de contre-révolution. Cependant, ce sont des luttes qui confirment que le prolétariat est toujours potentiellement révolutionnaire et qu’il commence à s’en prendre aux différentes institutions qui l’avaient muselé à travers l’État et la gauche du capital dans ses différentes versions.
  9. Les années 1970 sont aussi les années du retour de la crise de suraccumulation du capital, ce que la bourgeoisie a occulté en faisant croire qu’il s’agissait d’une simple crise conjoncturelle due à la hausse du prix du pétrole, mais qui, en réalité, montrait que réapparaissaient les problèmes de valorisation du capital en raison de sa tendance à la baisse du taux de profit. Cette crise a signifié le premier tournant de l’entrée dans une nouvelle période, puisqu’elle a signé la fin du mythe d’un capitalisme sans crise, éternel, capable de surmonter ses contradictions. Depuis lors, et malgré les contre-tendances mises en œuvre par la bourgeoisie mondiale (baisse des salaires, restrictions, élargissement des marchés), et le recours au crédit et le développement massif du capital fictif, non seulement le capitalisme n’a pas résolu cette crise de suraccumulation, mais il l’a aggravée. Son origine n’est pas conjoncturelle ou cyclique mais, comme nous le verrons, structurelle.
  10. Tout d’abord, les régimes politiques du bloc impérialiste le plus faible se sont effondrés, à savoir celui de la Russie stalinienne et de ses satellites d’Europe de l’Est qui ne pouvaient pas suivre le rythme en efficacité et productivité exigé par la concurrence capitaliste et le développement de la course aux armements imposée par les États-Unis. L’effondrement de ces régimes a signifié, à l’époque, un renforcement apparent du capitalisme. Ses porte-parole, comme Fukuyama, ont même parlé de la fin de l’histoire. Mais, en tant que communistes, il est important de voir le développement complet et dialectique du processus, du film dans sa totalité. Leur chute a été le deuxième tournant historique : la mort historique du stalinisme. Ce que certains courants de gauche évoquent aujourd’hui comme étant la fin du Cycle d’octobre ou la défaite du communisme ne correspond pas à la réalité. En fait, cela a signifié l’effondrement de l’un des éléments centraux de la contre-révolution, le stalinisme. Désormais, même si cela allait prendre plusieurs décennies, les mouvements de lutte de classe n’auraient plus à faire face à l’interminable et sinistre gouffre du stalinisme. L’expérience historique du prolétariat reparaissait pour renouer avec son programme historique et avec les fractions de classe qui avaient maintenu le fil historique du communisme authentique. Grâce à cette expérience du prolétariat, les minorités révolutionnaires qui tentent de s’orienter dans cette perspective communiste, n’auront pas à s’affronter à des machines politiques et syndicales aussi brutales et massives, à ces machines qui ont été expertes dans l’élimination de nombre de nos camarades du passé. Le développement du capital, avec sa logique impersonnelle et contradictoire, avait accompli sa tâche et donné lieu au premier grand aveu du monstre capitaliste stalinien.
  11. Le maoïsme, version alternative au sein du stalinisme au « révisionnisme » de Moscou, est également entré en crise à la fin du 20e siècle, avec le développement de plus en plus notable d’une politique intérieure agressive de modernisation capitaliste, qui a également permis à la Chine de devenir la deuxième grande puissance mondiale, aspirant à succéder aux États-Unis en tant que puissance hégémonique mondiale. Mais l’aile chinoise n’est pas la seule à avoir suivi la ligne officielle de Deng Xiao Ping. Les alternatives au « révisionnisme » chinois ont soit été vaincues, comme dans le cas du Sentier lumineux (un exemple de la façon dont la soi-disant « guerre populaire prolongée » est avant tout une arme contre le prolétariat), soit intégrées dans l’État démocratique, comme dans le cas du Népal et de son dirigeant Pachandra, qui est finalement devenu premier ministre de l’État népalais. Dans tous les cas, les vestiges existants, comme aux Philippines ou en Inde, n’ont rien d’autre à offrir que ce que l’on sait déjà : des tentatives de prise de pouvoir au niveau national pour développer une politique d’accumulation locale du capital.
  12. La crise du capital s’est énormément aggravée depuis les années 1970. Les causes de cette aggravation ne sont pas fortuites, c’est pourquoi nous parlons de capitalisme sénile. Elle trouve son origine dans la manière dont le développement de la concurrence capitaliste oblige les entreprises à accroître leur productivité. D’où la tendance inéluctable à remplacer le travail vivant par du travail mort, de sorte que la masse du capital variable tend à se réduire de plus en plus par rapport à l’augmentation du poids du capital constant (machines, matières premières, etc.). L’augmentation de la productivité a de moins en moins d’impact sur la masse de la plus-value et sur le taux de profit, tout simplement parce que les processus d’élimination du travail vivant font qu’il y a de moins en moins de travailleurs productifs dont on peut extraire la plus-value. Le développement de la révolution technologique et l’application de nouveaux développements tels que l’intelligence artificielle accéléreront ce que Marx avait déjà anticipé dans son Fragment sur les machines des Grundrisse : le temps de travail devient une piètre mesure pour mesurer l’ensemble de la richesse sociale créée, le vol du travail d’autrui ne peut plus être la base sur laquelle articuler le niveau de complexité sociale que nous avons atteint en tant qu’espèce. L’heure du communisme a sonné.
  13. Les politiques capitalistes ont tenté de surmonter ces obstacles structurels causés par une baisse de plus en plus marquée du taux de profit moyennant une série de contre-tendances : l’attaque des conditions de vie du prolétariat afin d’augmenter la plus-value absolue par la baisse des salaires, l’allongement du temps de travail et l’utilisation extensive de la main-d’œuvre ; l’extraction plus efficiente du point de vue capitaliste des matières premières et des sources d’énergie afin d’abaisser les coûts de production ; l’expansion des marchés pour compenser la baisse de la valeur par marchandise causée par l’augmentation de la productivité ; la multiplication des dettes privées et publiques ou l’accroissement quasi illimitée des produits financiers dérivés et du capital fictif qui constituent de véritables montagnes d’argent sans valeur….. Cependant, toutes ces contre-tendances sont impuissantes face à la tendance à la diminution de la valeur (à partir de sa substance, le travail abstrait) jusqu’à un minimum qui ne trouve pas de réelles possibilités d’expansion compensatoire sur le marché. Le capitalisme a gagné du temps, mais il marche sur un terrain de moins en moins solide, rempli de bombes à retardement qui exploseront avec une puissance de feu toujours plus grande. Son propre développement détruit le sol et la base sur lesquels il se déplace, ses catégories elles-mêmes. La crise de 2008 a été un nouveau tournant qui a accentué et accéléré le développement de la crise du capital. Nous ne savons pas quand aura lieu le prochain tournant, mais nous savons qu’il sera plus abrupt.
  14. La crise du capital marque cette période charnière entre l’épuisement de la contre-révolution et l’entrée dans une nouvelle époque historique. Marx avait déjà souligné dans son Introduction de 1859 qu’une époque de révolution sociale commence lorsque les rapports sociaux de production deviennent un obstacle au développement des forces productives, pour mesurer la richesse sociale. C’est à partir de cette prémisse que nous analysons le moment historique qui est le nôtre entre ces deux époques. Les sources du développement d’une perspective révolutionnaire chez le prolétariat ne proviennent pas de la culture ou des idées, mais de son action en tant que classe. Le prolétariat sera contraint de lutter de plus en plus parce que cette société est en crise et ne peut plus maintenir ses conditions de reproduction sociale. C’est la source de la lutte des classes de ces dernières décennies et elle s’intensifiera encore à l’avenir. Si le prolétariat veut vivre dignement, il sera contraint de lutter toujours plus intensément, et pour ce faire, il devra nier les bases sociales qui le lient au capital en tant que classe (c’est-à-dire les bases de son existence même en tant que classe exploitée). Il n’y a que deux alternatives historiques : soit le prolétariat réussit à se mettre sur la bonne voie dans sa lutte en se constituant en parti mondial, soit le capital continuera à poursuivre en l’intensifiant sa logique de développement catastrophique jusqu’à nous mener à l’extinction en tant qu’espèce. Il n’y a pas d’autre alternative. Tertium non datur.
  15. Pour ce faire, il devra lutter contre les différents courants de récupération et d’intégration de la lutte prolétarienne. La contre-révolution, comme nous l’avons dit précédemment, ne se limite pas au stalinisme, bien que sa défaite historique soit, sans aucun doute, un énorme avantage pour pouvoir renouer avec l’expérience historique du prolétariat, qui ne trouvera plus en face de lui cet énorme obstacle mortel qu’il a si bien personnifié dans le passé. Son effondrement en 1989-1991 a assurément été un moment important dans cette transition entre deux époques (entre le capitalisme en crise et la nécessité du communisme qui se présente à cette bifurcation historique). La démocratie et les tentatives d’intégration du prolétariat dans l’Etat sont aujourd’hui le grand obstacle auquel le prolétariat doit se confronter. Engels avait déjà dit que la république démocratique serait la dernière barrière que le prolétariat aurait à franchir pour s’émanciper. Or, la crise de la démocratie et des partis institutionnels est de plus en plus importante. Et ce n’est pas un hasard. Les éléments traditionnels d’intégration s’effondrent au fur et à mesure que l’efficacité de la production et de la reproduction capitaliste s’estompe. En ce sens, l’affaiblissement structurel et qualitatif des syndicats par rapport à ce qu’ils étaient il y a quelques décennies n’est pas un hasard. Leur crise, en tant qu’éléments de médiation entre le capital et le travail salarié et d’intégration ouvrière dans l’État capitaliste, est l’un des éléments où l’érosion de la contre-révolution est la plus évidente. La raison en est la difficulté qu’ils ont à continuer d’agir en tant que mécanismes d’intégration dans le cadre de la crise de plus en plus évidente du capital. Par ailleurs, au niveau politique, les populismes se développent, d’abord à gauche (Chavez, Morales, Correa, Corbyn, Podemos, Sanders, Syriza…) et maintenant à droite (Vox, Meloni, Le Pen, Milei, Alvise… sans oublier Trump, bien sûr). Il s’agit d’alternatives fictives qui tendent à s’essouffler plus rapidement que celles qu’elles remplacent. Et c’est que l’épuisement de la base sur laquelle ils se meuvent, la valeur en tant que substance sociale du capitalisme, est le problème de ces populismes, y compris ceux de droite. En ce sens, et contrairement au trompe-l’œil antifasciste, le fascisme n’est pas une alternative historique actuelle. Il ne l’est pas parce que le fascisme a précisément été un élément de la modernisation capitaliste, tout comme d’autres idéologies bourgeoises qui ont eu un impact matériel sur les États des années trente du XXe siècle, dans ce saut de qualité qu’a été la socialisation du capital. Et de nos jours, ce qui est en crise, de manière irréversible, ce sont toutes les alternatives basées sur le capitalisme.
  16. D’autres alternatives proposées sont celles qui misent sur la racine communautaire, en raison de la crise même des rapports capitalistes. Il y a bien une recherche d’alternatives communautaires et religieuses. Nous faisons allusion au développement des sectes évangélistes en Amérique latine ou à l’islamisme politique qui a trouvé, depuis les années 1970 en triomphant en Iran, une excellente occasion pour se présenter comme une alternative « anti-impérialiste ». Mais, bien évidemment, il s’agit aussi de communautés fictives de type capitaliste. L’islamisme politique n’est rien d’autre qu’une faction bourgeoise en concurrence avec d’autres. Lorsque les islamistes gouvernent, comme en Iran, ils montrent leur vrai visage bourgeois et oppressif dès le début (en détruisant et en réprimant brutalement le prolétariat). Leurs racines sont alimentées par la crise générale du capitalisme et ils tentent de se présenter comme une alternative qu’en tant que communistes nous devons combattre de façon implacable. La tendance au développement des guerres impérialistes, comme nous le verrons plus en détail plus loin, permet à ces tendances de profiter d’un terrain privilégié pour que les bourgeoisies locales puissent encadrer le prolétariat comme chair à canon en défense de leurs seuls intérêts. C’est pourquoi ces tendances doivent être combattues de façon intransigeante, comme tous les prétendus mouvements de libération nationale (en réalité, il s’agit toujours de l’affirmation des bourgeoisies nationales contre le prolétariat). Il y a une autre réalité importante qui s’impose de plus en plus à notre époque. C’est le développement de mafias illégales basées sur le trafic de drogue, mafias qui ont des retombées très négatives sur le territoire et sur la vie du prolétariat. Ce phénomène est de plus en plus évident dans certaines villes d’Amérique latine, mais son impact est mondial. Il suffit de savoir qu’en 2022, plus de 100 000 personnes sont mortes d’overdose aux États-Unis.
  17. Notre époque est celle d’une vie sans aucun sens. Une époque qui accroît de façon exponentielle le développement des déséquilibres, des troubles, des maladies mentales… Les racines se trouvent dans les fondements mêmes d’un développement capitaliste de plus en plus catastrophique. L’être générique et social de l’espèce se rebelle contre un monde de plus en plus atomisé, aliénant et aliéné, dysfonctionnel pour la vie humaine. C’est une expression supplémentaire de l’incapacité des rapports sociaux capitalistes à reproduire la vie humaine, d’autant que même les paramètres sur lesquels ils se basent pour ce faire sont en crise. Une vie sans aucun sens implique également que le capitalisme n’ait plus cette aura de progrès, d’avenir… qu’il a eu dans le passé. Ce no future capitaliste est souvent identifié à un monde sans issue, à une humanité qui se dirige vers l’abîme. Il ne s’agit pas d’un combat d’idées. Il n’y a que la lutte des classes et la constitution du prolétariat en parti qui sont porteurs de l’alternative historique permettant à l’humanité de retrouver le sens collectif de sa vie. Car, comme le disait Marx dans sa jeunesse, la véritable essence humaine est la Gemeinwesen (la communauté humaine) libérée de l’argent, de la marchandise et de l’État.
  18. Un troisième tournant de cette période historique est la progression de la catastrophe écologique, une catastrophe qui est immanente à la logique même du capitalisme en raison de son essence prédatrice et productiviste. De plus, la tentative de résoudre sa crise de valorisation l’amène à développer davantage la dynamique même de la catastrophe écologique, puisqu’il lui faut augmenter la production de marchandises pour réduire la baisse du taux de profit, réduire la durée de vie des marchandises par l’obsolescence programmée… ce qui implique une consommation toujours croissante d’énergie et de matières premières. Le besoin de croissance illimitée du capitalisme se heurte aux limites de la planète, de la nature, des êtres humains… Cette logique capitaliste s’exprime aussi dans le développement d’un dérèglement climatique qui déclenche des manifestations météorologiques catastrophiques de plus en plus fréquentes, comme on l’a vu dans la période la plus récente de Valence (Espagne) au département de Mayotte (indissociables aussi d’un urbanisme capitaliste qui concentre les populations dans des lieux qui préparent leur mort). Cette même logique se manifeste aussi par la voracité de la colonisation mercantiliste de toute la planète, ce qui provoque des pandémies propres du capital comme celle du COVID, en même temps qu’elle présuppose, à coup sûr, d’autres pandémies à venir. En somme, la crise écologique est l’un des éléments constitutifs de la crise structurelle et globale du capitalisme, qui définit notre période historique, où les crises économiques, environnementales, politiques, militaires et sociales s’alimentent les unes les autres de manière inséparable et réciproque. Il suffit de constater le fait que la fonte des glaces de l’Arctique entraîne une concurrence inter-impérialiste pour l’accaparement de nouvelles ressources naturelles et pour la mise en place de nouvelles routes commerciales plus rapides. Par exemple, Donald Trump vient de proposer d’acheter le Groenland au Danemark et menace même d’intervenir militairement s’il n’y a pas d’accord (sa réélection est un nouvel « accélérateur » des contradictions et des tensions du capital international). Le fait est que c’est bien la totalité capitaliste définie par son essence marchande qui est en crise. Nous assistons à une transition de phase d’un mode de production (le capitalisme) à un autre (le communisme) où il est possible, dans ce dilemme historique, que l’emportent finalement l’aggravation de la catastrophe et l’extinction de notre espèce.
  19. Nous savons que nous vivons encore dans une époque de contre-révolution, mais tous les éléments décrits ci-dessus montrent que viendra une période historique où la lutte des classes se propagera et se radicalisera. Le prolétariat mondial se voit et se verra de plus en plus obligé de lutter pour défendre ses conditions de vie. En outre, ces conditions se heurtent à l’essence même des rapports sociaux de production capitalistes. Il existe un antagonisme insoluble entre les besoins de valorisation du capital, dont la crise s’accentue, et les besoins de reproduction du prolétariat en tant que classe internationale. D’ailleurs, depuis le début du XXIe siècle, nous avons assisté à différentes vagues de lutte des classes au niveau mondial, qui ont été récupérées par différentes idéologies capitalistes. Cela ne nous surprend pas. Le prolétariat doit vivre et être l’interprète de son expérience historique pour pouvoir faire un saut qualitatif, qui représentera un tournant décisif comprenant tous les autres facteurs, afin de se constituer en classe mondiale et en parti à la même échelle. On ne passe pas, d’un coup, au cours de la lutte des classes, de la contre-révolution la plus totale à la clarté absolue des tâches de notre programme historique. La révolution est un processus dialectique qui mûrit de façon souterraine (la vieille taupe dont nous parlait notre vieux camarade) et moléculaire. Elle mûrit jusqu’à présenter deux polarisations politiques antagonistes, l’une contre l’autre, deux modes de production qui se présentent et s’affrontent comme des alternatives historiques (capitalisme contre communisme). Or, nous vivons une époque où l’expérience historique du prolétariat peut de nouveau avoir un impact grâce à l’érosion de la contre-révolution.
  20. Ce à quoi nous assistons entre-temps, c’est à différentes vagues de lutte de classe où le prolétariat se bat pour ses intérêts immédiats et tente de s’orienter subjectivement face à un monde de plus en plus catastrophique. Nous pouvons nous référer succinctement aux différentes vagues, expression d’une polarisation sociale croissante, où la conscience du prolétariat murit de façon souterraine : la révolte argentine de 2001 (« ¡Que se vayan todos ! » – Qu’ils aillent tous au diable ! -) avec ses assemblées « populaires », qui ont connu des répercussions dans d’autres pays d’Amérique latine, de l’Équateur à la Bolivie en passant par Oaxaca (Mexique) en 2006, et qui ont finalement été récupérées par le populisme latino-américain de la gauche du capital. La seconde vague a commencé avec les émeutes de la faim de 2008 et a connu ses points culminants en 2011 : dans le monde arabe, de la Tunisie à la place Tahrir et à la Syrie, et aussi le 15-M en Espagne ou Occupy aux Etats-Unis. Ont également fait partie de cette vague les processus de lutte de classe en Grèce, contre les réductions de salaires, au Brésil contre la Coupe du Monde et en Turquie, en 2013, avec l’occupation du parc Taksim Gezi. La troisième vague, où la violence de classe de la révolte sociale s’est accentuée, a éclaté en commençant par la révolte des gilets jaunes et s’est poursuivie avec le soulèvement d’octobre 2019 au Chili, les luttes en Équateur, en Colombie, ainsi qu’au Liban contre le krach financier et les explosions subséquentes dans le port de Beyrouth qui ont généré des manifestations contre la division religieuse et en faveur de qu’ils aillent tous au diable. Après la pandémie, nous avons assisté à différentes vagues de lutte des classes et de grèves, comme en France, au Royaume-Uni, en Grèce… Les mouvements qui ont récemment renversé les gouvernements du Sri Lanka et du Bangladesh ou les récentes luttes au Kenya font également partie de cette vague. En même temps, des pays comme l’Iran ont vu, ces dernières années, l’un des prolétariats les plus combattifs lutter pour défendre ses conditions de vie contre l’inflation, la famine, les problèmes de distribution d’eau ou la répression du régime des Ayatollahs dans le cas de la mort de la jeune Mahsa Amini. Que nous indiquent toutes ces luttes ? Tout d’abord, le caractère totalement mondial du prolétariat aujourd’hui. Nombre de ces révoltes et rébellions se sont nourries les unes les autres, il suffit de penser à 2011. Ce caractère simultané et mimétique de cette polarisation sociale est fondamental. Il en a été ainsi lors des grandes vagues révolutionnaires et il en sera de même, d’une façon encore plus accentuée, dans la future vague révolutionnaire et communiste du prolétariat mondial. Le capitalisme a développé son essence mondiale encore bien plus aujourd’hui qu’en 1917. Ses armes se retourneront contre lui, comme Marx et Engels l’ont annoncé dans le Manifeste du Parti communiste. Outre ce caractère mondial des luttes, il faut également souligner leur tendance à l’auto-activité et à l’auto-organisation dans ces processus, leur extension au-delà des limites qui séparent l’économie et la politique capitalistes, et la tendance à généraliser leurs revendications et pétitions au-delà des raisons qui ont motivé les protestations (l’augmentation du prix du ticket de métro au Chili ou l’augmentation des taxes sur les carburants dans le cas des gilets jaunes). Nous sommes conscients des limites de ces mouvements, comme nous l’avons dit plus haut, mais en même temps il est important de reconnaître leur réalité et leur potentiel. En ce qu’ils dépassent les limites de la paix sociale capitaliste, de son monde ordonné, parlementaire et syndical, guidé par le droit. En ce qu’ils permettent l’éclosion de minorités révolutionnaires et communistes, qui peuvent à leur tour interagir avec ces mouvements pour devenir des facteurs de clarification communiste. C’est le développement des minorités de classe qui grossissent dans le feu de ces processus qui permettra les potentialités révolutionnaires, antiformes, qui se lanceront à l’assaut des vieilles formes et permettront la naissance irrésistible de nouvelles formes communistes. D’ailleurs, dans le cadre de ce processus plus général, ce n’est pas un hasard qu’émergent dans de nombreuses régions du monde des minorités de jeunes prolétaires qui tentent de s’orienter et de se clarifier dans une perspective révolutionnaire et qui, parfois, se rapprochent des positions de la gauche communiste. Il s’agit de l’expression d’une maturation souterraine de la conscience de classe qui exprime aussi les caractéristiques de notre période historique.
  21. Entre-temps, nous assistons au déclin général des États-Unis, la puissance hégémonique issue de la Seconde Guerre mondiale, et à la montée en puissance de la Chine, qui lui dispute le pouvoir mondial. Il s’agit de la crise de l’ordre capitaliste issu de la Seconde Guerre mondiale, avec Yalta et Potsdam, et qui était déjà entré en crise profonde avec la disparition de l’URSS en 1991. Nous savons que, comme par le passé, aucune transition du pouvoir capitaliste mondial ne s’est jamais déroulée pacifiquement (il suffit de se remémorer les deux guerres impérialistes mondiales du 20e siècle). C’est pourquoi les raisons de la fragmentation du monde capitaliste tendent à prévaloir de plus en plus, sans pour autant nier les raisons de l’unité et de la cohésion qui persistent. La victoire de Donald Trump aux dernières élections américaines est sans doute l’expression d’une dynamique tendant à la confrontation et à la concurrence entre les principales puissances capitalistes. Il avait déjà annoncé qu’après sa victoire, il augmenterait les droits de douane sur les produits chinois et a menacé de faire de même avec l’UE. Pour sa part, la Chine est tenue de veiller à ce que son poids économique croissant dans la production mondiale soit proportionnel à son poids politique et stratégique. Pour ce faire, elle doit briser la mainmise que les États-Unis et leurs alliés exercent sur elle en mer de Chine. C’est pourquoi Taïwan, que l’État chinois considère comme faisant partie de son territoire, devient le point central qui peut déclencher la guerre impérialiste généralisée entre la Chine et les États-Unis et les blocs impérialistes que les deux puissances parviendront à entraîner derrière elles.
  22. Le déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine a sans aucun doute constitué un quatrième tournant dans la dynamique de cette période historique. Il présente clairement la tendance à la guerre impérialiste et à la formation possible de blocs impérialistes autour des deux puissances qui se disputent l’hégémonie sur le capitalisme mondial. On ne peut pas interpréter cette guerre, qui a éclaté en février 2022 et qui n’est pas encore terminée, indépendamment de la dynamique mondiale qui tend vers la guerre, pas plus qu’on ne peut interpréter de façon indépendante les autres conflits existants, qui ne cessent de se multiplier : entre Israël et la Palestine, en Syrie, au Soudan, au Congo, la liste n’est pas exhaustive. L’augmentation du budget militaire des grandes puissances mondiales (y compris l’Allemagne et le Japon) indique clairement ce tournant.
  23. Cela étant, les retombées d’une future guerre généralisée, compte tenu de la puissance destructrice liée au fait que de nombreuses puissances impérialistes disposent aujourd’hui d’armes nucléaires, ne seront pas aussi bénéfiques pour le capital que celles de la dernière guerre mondiale. Le capitalisme ne connaîtra pas le développement de l’accumulation capitaliste qu’il a connu jusqu’en 1973-1975. En effet, la base sur laquelle repose l’accumulation du capital devient de plus en plus étroite en raison de l’énorme productivité atteinte par le développement technologique. Les masses de capital qui peuvent être détruites pendant la guerre et reconstruites par la suite atteindront rapidement la composition organique antérieure du capital, à savoir la prédominance du capital constant sur le capital variable, Cela signifie que très vite se poseront à nouveau des problèmes structurels de suraccumulation de capital. Nous sommes confrontés à un capitalisme sénile qui ne rajeunirait pas, même si une nouvelle puissance remplaçait l’ancienne en déclin.
  24. C’est bien la totalité capitaliste qui transite entre deux époques historiques, comme nous l’avons expliqué à travers toutes ces notes : entre la contre-révolution du passé qui s’érode de plus en plus et le communisme comme seule alternative historique. Nous parlons de crise globale et structurelle du capitalisme parce que c’est sa totalité concrète qui est en question. On ne peut pas séparer les différents éléments de la polycrise (comme l’évoque certains intellectuels de la bourgeoisie mondiale) parce qu’ils se nourrissent réciproquement et, surtout, parce que l’essence de la crise est la même : les fondements marchands de l’ordre capitaliste. Ces éléments sont le fait et les conséquences du fait que la valeur est de plus en plus un piètre étalon de mesure pour évaluer la richesse sociale qui permet de produire et de reproduire la vie.
  25. Nous avons synthétisé quatre tournants qui ouvrent cette période charnière entre révolution et contre-révolution : la crise de suraccumulation de capital qui a commencé dans les années 1970, la crise historique du stalinisme et son effondrement en 1989-1991, la réalité indéniable de la catastrophe environnementale que le capitalisme provoque de façon immanente et la tendance à la guerre généralisée de la part de l’impérialisme. A ces tournants, il faut ajouter, comme nous l’avons fait, la crise de plus en plus évidente de la politique bourgeoise et de ses partis traditionnels et la tendance à une progression de plus en plus vaste et intense de la lutte des classes. Dans la période à venir, nous connaîtrons des accentuations, des accélérations et de nouveaux tournants dans le sens indiqué. C’est-à-dire autour de la bifurcation historique qui caractérise l’entrée dans une nouvelle époque, le dilemme entre le communisme ou l’approfondissement irréversible de la catastrophe capitaliste.
  26. Les tâches des minorités communistes internationalistes consistent, comme Rosa Luxemburg l’avait déjà dit il y a plus de 100 ans, à expliquer clairement au prolétariat mondial que « l’avènement d’une telle période est inévitable, en lui expliquant les conditions sociales internes qui y conduisent, ainsi que ses conséquences politiques ». C’est-à-dire qu’il faut expliquer que la tendance vers la guerre, la crise du capital, la catastrophe climatique, etc. sont des phénomènes intrinsèques à la dynamique capitaliste elle-même, que tout cela entraîne des conséquences politiques causées par la crise de la représentation politique bourgeoise et, en même temps, par une intensification toujours plus grande des révoltes et des rébellions de notre classe. Notre objectif, en tant que communistes, est donc d’assumer sérieusement nos tâches du moment, de façon intransigeante du point de vue de la doctrine et du programme, en ayant le sens de la responsabilité historique, afin d’être un facteur actif dans la lutte en faveur de la convergence et la centralisation internationale des minorités révolutionnaires à partir du barycentre qu’est le programme communiste.
  27. Contrairement aux idées décadentistes du capitalisme, le communisme naît du développement même du capital, comme seule alternative historique à la catastrophe. Le communisme est une alternative historique au monde du capitalisme, non pas parce que le capitalisme a cessé de se développer, mais parce qu’il se développe de plus en plus et que, ce faisant, les fondements marchands sur lesquels il repose empêchent de mesurer et d’orienter la reproduction de la complexité sociale. Seul le communisme peut aujourd’hui orienter et planifier la vie de l’espèce à l’échelle mondiale. La tâche du prolétariat mondial à travers ses luttes et celle des minorités communistes qui luttent à ses côtés pour qu’il se constitue en classe est de permettre le déploiement des forces productives qui sont prisonnières des rapports sociaux capitalistes. Tout cela afin de parvenir à inverser la praxis de l’histoire et pour que sur les ruines de la valeur et de la marchandise puisse se déployer un projet de vie pour l’espèce.

 

Décembre 2024

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